Ce texte retraçant le parcours militant d’Andrée Michel a été lu en public lors de la dernière vélorution féministe et anti-guerre de Grenoble.
J’ai souhaité rendre un hommage à Andrée Michel, sociologue, féministe et antimilitariste, décédée en février 2022 pour son ouvrage Féminisme et antimilitarisme (Éditions Ixe, 2012).
Andrée Michèle était à la fois chercheuse au CNRS et activiste. Grenoble a été importante dans son parcours puisqu’elle a étudié et enseigné dans cette ville, la philosophie et les lettres. Dans son travail, elle s’est consacrée d’abord à la famille, puis au travail, à l’économie, à la politique, aux migrations et à la militarisation de nos sociétés. Vers les années 1980, elle oriente ses recherches sur les connexions entre l’industrie, l’entreprise, l’armement, en lien avec la société civile et les femmes. Elle analyse le complexe militaro-industriel en utilisant des données économiques, sociologiques, historiques et des statistiques fournies par les institutions internationales. En parallèle, elle s’engage dans des réseaux féministes européens et américains contre la guerre et le militarisme, engagement infatigable qu’elle poursuivra jusqu’à la fin de sa vie.
Dans son essai, elle démontre que le patriarcat s’incarne dans l’industrie d’armement, la vente d’armes, la guerre et que ce complexe militaro-industriel est lié au capitalisme financier. Militaires, industriels, scientifiques, bureaucrates, banquiers, lobbyistes, généralement tous d’anciens étudiants des grandes écoles et des grands corps de l’état appartiennent à la caste des fonctionnaires d’élite hautement disciplinée. De cette classe d’élite, les femmes sont exclues ainsi que la diversité sociale et raciale. Il y a bien, depuis le début du XXIe siècle quelques frémissements de changement qui pourraient porter le nom d’égalité des chances, de quotas homme/femme, mais le bastion militaro-industriel reste si hautement gardé qu’il en frémit à peine sur ses bases.
Andrée Michel explique que la politique de militarisation d’un pays engendre des violences faites aux femmes par l’aggravation de la division sexuelle du travail et le chômage provoqué. Cette politique de militarisation ne fait qu’accroître les profits, le pouvoir, le prestige et la puissance des complexes militaro-industriels aux dépens des autres classes sociales. Elle démontre que les dépenses militaires génèrent moins d’emploi que d’autres catégories de dépenses publiques. Un million de dollars investi dans la fabrication d’un avion bombardier produisent 58 000 emplois. Le même million investit dans l’éducation en produit plus de 118 000.
À l’intérieur des frontières d’un pays, le complexe militaro-industriel utilise la rhétorique de la sécurité nationale pour tenir en respect toute demande de justices sociales et environnementales. Ainsi, la défense devient la plus grande ennemie des citoyens, citoyennes et de la démocratie. Hors de ses frontières, ce complexe militaro-industriel s’exporte et favorise la multiplication des guerres. Faut-il rappeler que la France se classe selon les années au second ou au troisième rang des ventes d’armes au Monde !
Au début des années 1980, les pays du Sud se retrouvent profondément endettés à cause d’une trentaine d’années de politiques de développement imposé. Ils sont soumis alors à d’importantes exportations de matières premières agricoles, forestières et extractives. Parallèlement les pays du Nord réduisent les subventions internationales aux produits de base, aux crédits publics de santé, d’éducation et de transport. Pour les femmes du Sud, l’appauvrissement est multiple, d’autant que les hommes s’accaparent la culture d’exportation et réduisent de fait l’agriculture vivrière avec laquelle les femmes nourrissent leur famille. Les exportations d’armement du Nord aggravent encore plus cette dette ainsi que la situation sociale de ces pays. Après la Seconde Guerre mondiale, les complexes militaro-industriels ont exporté principalement des guerres vers les pays du Sud.
En 1987, un colloque international s’intitule, y a-t-il une politique de genres au sein de la politique de guerres ou y a-t-il une politique de guerre dans une politique de genre ? Chaque guerre, chaque base militaire apporte un développement accéléré de la destruction de la vie des femmes. À la prostitution et au viol s’ajoutent les avortements et les enfants sans père.
Je souhaiterais citer un court extrait de l’essai d’Andrée Michel qu’elle pourrait avoir rédigé depuis la nouvelle élection présidentielle aux États-Unis :
L’OTAN peut être considérée comme l’un des champs d’action privilégiés du complexe militaro-industriel américain dont le commandant suprême est toujours un général américain. Il a en charge d’infléchir une politique militaire internationale pour qu’elle soit favorable à son pays. Il a aussi pour mission de persuader les gouvernements alliés de diminuer leurs dépenses sociales et d’augmenter leurs dépenses militaires. Ce qui abaisse la compétitivité de l’industrie civile européenne en réduisant les investissements et permet de vendre plus d’armes à l’Europe. L’OTAN exerce ainsi un contrôle politique et économique sur ses alliés européens.
La recherche d’Andrée Michel révèle en creux la puissance destructrice des hiérarchies de classe, de race et de sexe générée par les complexes militaro-industriels.
Faut-il rappeler que lors des guerres, on croit mourir pour ses engagements, mais en fait, on meurt pour les actionnaires des multinationales de la défense !
Le système militaro-industriel non seulement dégrade en profondeur les relations sociales, détruit et tue des humains et des humaines, mais il contribue aussi aux massacres d’espèces animales et végétales ainsi qu’au dérèglement climatique. Il génère à lui seul de nombreux génocides et écocides.
Christiane Geoffroy, 2025