Cette année, grosse actu chez nos marchands d’armes : Verney Carron, l’historique pourvoyeur de flingues stéphanois, a été racheté par Cybergun. Ce dernier est spécialisé dans la production d’armes « airsoft », imitations qui tirent des billes en plastique plutôt que des balles. Envie de jouer dans la cours des grands, ou plus probablement de se tailler une part du gâteau toujours plus gros du marché des armes bien réelles et meurtrières ?
Toujours est-il que Cybergun avait déjà mis le pied dans cet univers fabuleusement lucratif début 2020, en co-créant avec le groupe Valantur, spécialisé dans les systèmes de haute technologie pour l’aéronautique civile et militaire, la filiale Arkania, qui produit entre autres des simulateurs d’entraînement au tir d’armes légères pour le compte d’armées de l’OTAN.
Verney Carron produit surtout des pétoires pour chasseurs – rappelons tout de même que ces armes sont responsables de plus de 400 décès en France ces vingt dernières années . On connaît aussi l’entreprise pour son fameux Flashball, outil de « gestion démocratique des foules » beaucoup exporté dans les pays en voie de développement, comme en RDC où il a servi à réprimer les opposants lors des élections de 2011. Le Couac avait publié un article complet sur la longue histoire de cette entreprise.
Ces dernières années, ça tirait un peu la tronche chez Verney Carron ; le rachat par Cybergun est en réalité un plan de sauvegarde d’une entreprise en difficulté. Mais les années qui viennent seront probablement fastes. En effet, les politiques pointent le fait que la France n’est plus souveraine dans la production d’armes légères pour sa propre armée : cette dernière fait ses courses en Allemagne pour les fusils et en Autriche pour les pistolets. Or, comme le disait le bien nommé Quentin Bataillon, député macroniste de la Loire, Verney Carron est « la seule entreprise en capacité d’approvisionner notre armée en fusil d’assaut en France ». D’après lui, « la souveraineté nationale se joue aujourd’hui à Saint-Étienne ». Et ça tombe bien, car la souveraineté nationale en matière de matériel militaire est justement à l’ordre du jour. Comme le disait Macron le 9 novembre, « c’est un véritable réarmement de la nation que nous avons décidé il y a cinq ans ». D’où acte : Verney Carron affiche l’objectif de fabriquer 100.000 fusils d’assaut par an, et cherche à l’heure actuelle un nouveau site de 10.000 mètres carrés. Éventuellement, la boîte risque de se mettre à la production de munitions (comme dit dans cette interview)
Rappelons le contexte actuel : cela fait des années que les ventes d’armes explosent partout dans le monde, au gré de la multiplication des conflits et de la répression des populations. Les États se réarment massivement, donc. En France, les budgets militaires augmentent là où d’autres institutions plus utiles au bien-être de l’humanité – par exemple l’hôpital public – sont à la diète sévère ; l’armée compte passer de 40000 réservistes à 100000 dans les années qui viennent, et se prépare officiellement à une « guerre de haute intensité ». Au delà de la préparation concrète de l’armée à un éventuel massacre à venir, on peut sans trop d’hésitation dire que ces annonces participent aussi à une remilitarisation du débat public. Du Service National Universel qui vise à embrigader la jeunesse sous les drapeaux jusqu’aux « spécialistes » ravagés du bulbe qui rabâchent que la paix se défend par la dissuasion surarmée, l’offensive idéologique militariste est en cours.
Mais revenons à nos marchands de canons stéphanois : dans un tel contexte, on pourrait se rappeler les positions antimilitaristes de la CGT d’antan, à l’époque où ce syndicat n’hésitait pas à clamer que l’armée n’était qu’un instrument au service du capitalisme et de l’état bourgeois. Autres temps, autres mœurs, peut-être… Toujours est-il que dans la Loire on aura juste eu droit au communiqué des retraités de la CGT qui déplorent les années et le savoir faire perdu, et affirme que « les armes ne sont pas des marchandises comme les autres, que leur fabrication relève d’une fonction régalienne de l’État et qu’elles doivent échapper à la loi du profit ».
Proposons autre chose : rasons les usines à flingue pour en faire des champs de patates, désarmons l’État criminel, et faisons taire les portes-voix du militarisme. Si la souveraineté nationale en matière d’armes légères se joue à Saint-Étienne, c’est aussi là que doit se mener la lutte antimilitariste.